Manuel

Manuel, 53 ans, de nationalité portugaise

Manuel vit en Suisse depuis quinze ans. Il a reçu une formation de paysagiste et de presseur-machiniste dans des pressings en France où il a passé dix-huit années. Son fils unique l’a rejoint en Suisse il y a quelque temps après avoir terminé ses études au Portugal. Tous deux sont étroitement liés. Quand j’arrive, nous buvons un café tous les trois, puis le fils s’éclipse pour laisser son père me raconter son histoire.

Quand je suis arrivé en Suisse, j’avais un travail comme jardinier dans une grande entreprise. J’y ai travaillé jusqu’en 2006, lorsque mes problèmes de santé ont commencé. J’ai pu récupérer un peu au niveau de ma santé, j’ai donc continué à travailler dans le même domaine mais dans des boîtes d’intérim. En 2012, mon pneumologue m’a annoncé que j’avais un problème pulmonaire et que je ne pourrais plus exercer mon métier. Je me suis retrouvé d’abord au chômage et quand je suis arrivé en fin de droit, vu que mes capacités de santé ne s’étaient pas améliorées, j’ai dû m’inscrire au RI en attendant que l’AI prenne une décision. Elle a tout d’abord refusé mon cas puisque, à l’époque, mon état de santé ne m’obligeait pas à m’arrêter totalement de travailler. Mais comme en 2013, ma maladie s’est empirée, nous avons refait, avec mon pneumologue, une nouvelle demande, pour un arrêt de travail à 100 % cette fois. Nous sommes dans l’attente d’une décision.

Concrètement, les conséquences des problèmes pulmonaires de Manuel sont lourdes. Il ne peut pas s’absenter plus de quelques heures de chez lui à cause de sa bouteille d’oxygène.

Je dois me promener partout avec le transporteur sur le dos, c’est assez douloureux. Je ne peux pas aller trop loin parce qu’il a une autonomie de trois heures et demie. Après, il faut que je revienne à la maison pour le recharger. Les gens me regardent bizarrement : ceux qui ne me connaissent pas me lancent des regards de pitié. Il y a des moments où j’aurais envie de prendre l’oxygène et de le jeter par la fenêtre, de partir je ne sais pas où, parce que j’en ai besoin même pour dormir, ce n’est pas évident. Mon fils passe parfois me voir pendant la nuit, parce qu’il arrive que le tuyau de l’oxygène s’enroule autour de mon cou. Je n’arrive jamais à dormir une nuit entière paisiblement. Je me réveille toujours deux ou trois fois par nuit.

Cette situation est particulièrement handicapante. Elle s’ajoute aux problèmes rencontrés par Manuel lorsqu’il s’est inscrit à l’aide sociale, notamment pour trouver un logement. Malgré ces difficultés, il porte un regard positif sur l’aide de l’État.

Ce passage, je l’ai vécu plus ou moins bien, ça m’a donné beaucoup de fil à retordre. Au début, j’ai dû aller dans des hôtels. Je suis resté dans un hôtel pendant trois ans, puis deux ans dans un autre, et pour finir ils m’ont trouvé cette colocation, ici. On vit à six dans cette maison. Pour moi ça va. Je m’habitue facilement à l’ambiance. Bien sûr, ce n’est peut-être pas le cas de tout le monde, il faut prendre sur soi pour respecter la colocation, mais sinon ça va, ça se déroule assez bien. Je paie 1 200 francs ici. L’aide sociale me donne 1 040 francs pour le loyer et je mets le reste de ma poche. L’assurance maladie est prise en charge aussi. Ils me donnent 1 070 francs pour le reste. Si seulement les services sociaux pouvaient faire un effort sur ce qui concerne le loyer, pour que les personnes puissent avoir un chez-eux sans être à l’hôtel, sans être dans une chambre en colocation à payer une fortune alors qu’ils pourraient trouver un petit studio avec un peu plus d’intimité.

Cela dit, avant de venir en Suisse, je ne m’imaginais pas qu’il y aurait autant d’aide pour les gens. Il ne faut pas oublier que sans les services sociaux, beaucoup de gens ne seraient plus de ce monde. Certaines personnes sont dans des situations vraiment précaires. Moi je suis bien content d’être soutenu, qu’on m’aide à m’en sortir le temps que d’autres administrations prennent des décisions. Je suis convoqué une fois tous les deux, trois mois pour faire le bilan. Comme les services sociaux sont tout à fait au courant de ma situation de santé, ils me laissent tranquille. Ils savent que je ne peux pas chercher du boulot, que je ne peux pas travailler. Normalement je devrais y aller tous les mois, présenter des recherches de travail et de logement. Dès le début, j’ai été bien accompagné. Ils m’ont même trouvé un petit job rémunéré par l’AI mais malheureusement, avec l’oxygène toute la journée, je ne pouvais pas le faire. Ils m’ont aidé pour trouver ce logement, si j’ai un problème de facture ils sont toujours là pour me dire comment faire. Ils m’ont toujours bien informé.

Manuel vit à Renens. Ses amis sont de toutes les nationalités, et lui-même parle de nombreuses langues. Pour se rendre utile, mais surtout parce qu’il apprécie particulièrement le contact avec les autres, il aide ses compatriotes dans des démarches administratives, notamment pour s’inscrire au RI quand cela est nécessaire. Il leur sert d’interprète ou les aide à remplir des papiers parfois difficiles à comprendre pour certains.

Je me rends utile pour beaucoup de gens depuis deux ans. Je les accompagne un peu partout : parfois chez le médecin, pour des divorces, des questions juridiques ou aux services sociaux, que ce soit ici ou à Morges. Je les aide à remplir tous les formulaires qu’ils ne connaissent pas, pour lesquels ils ne savent pas comment faire, et je les leur traduis. Je me sens utile. C’est quand même agaçant de rester seul à la maison, sans rien faire. Je suis heureux si je peux faire quelque chose pour eux. Et bien entendu, même si c’est bénévole, on m’offre un repas ou une bouteille. Les gens sont contents quand ils me croisent dans la rue. Ils n’arrêtent pas de me dire merci. « Sans toi je ne sais pas comment je ferais. » Ça me touche d’entendre ça. C’est avant tout un plaisir de le faire.

L’attente de la décision de l’AI est difficile à vivre, et tant que l’administration ne statue pas sur son cas, Manuel ne peut pas envisager son avenir. étant donné que son fils habite en Suisse, il souhaiterait rester y vivre, même s’il doit se restreindre financièrement.

Ce n’est pas un souhait de repartir au Portugal. Là-bas, c’est sûr, j’ai mes sœurs, mes beaux-frères, mais j’ai aussi des amis ici. On dit souvent « loin des yeux, loin du cœur ». J’ai créé des racines ici, des amitiés. Partir et tout laisser tomber, ce n’est pas la solution non plus. Ce n’est pas évident de faire des projets concrets dans cette situation. Si j’ai le choix, je reste ici, oui. Si j’arrive à vivre avec ce qu’on va me donner, j’aimerais bien rester.

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