Alexi

Alexi, 31 ans, de nationalité suisse

Alexi grandit dans une famille unie dans la région genevoise. Ses parents l’ont toujours soutenu dans ses choix pour autant qu’il soit épanoui. Il entretient d’excellentes relations avec son frère et sa sœur. Sa mère a été très impliquée dans des ONG comme Amnesty International. Sensibilisé aux problèmes du monde dès son plus jeune âge, à l’importance de la liberté d’expression, Alexi s’engage à sa manière, se documente et agit auprès des autres dans des combats qui lui semblent importants mais qui n’incluent pas nécessairement un retour financier. Parallèlement, il développe une sensibilité artistique depuis l’enfance.

J’ai fait le gymnase en arts visuels, j’ai fini avec une moyenne de 6/6. Je me suis dit que je n’aurais aucun problème à réussir dans le milieu de l’art. Ça me paraissait évident que j’avais une voie toute tracée là-dedans. Mais il y a eu des périodes où j’ai culpabilisé d’avoir autant de chance : né en Suisse, avec des parents qui avaient les moyens. Le fait de ne pas avoir de traumatisme dans ma vie me paraissait être un frein à ma carrière artistique.

J’ai un CFC de concepteur multimédia. C’est un métier qui n’existe pas vraiment en fait. En gros, être concepteur multimédia signifie que tu peux utiliser tous les médias pour concevoir un projet : que ce soit pour un site internet, une vidéo, voire un projet cross-média, ce qui se fait de plus en plus maintenant sur internet. Globalement en sortant de la formation, on est censé être graphiste, typographe, vidéaste, on est censé savoir gérer le son, la 3D… Bref, c’est une formation beaucoup trop large pour qu’en trois ans d’étude, dont une année de stage, on ait pu faire vraiment le tour. Quand j’ai terminé l’Eracom en 2011, je suis retourné dans l’entreprise où j’avais fait un stage et où ça s’était bien passé. J’y étais quasiment tous les jours, mais mon patron ne me payait pas, donc j’ai poussé un peu pour qu’il me fasse un contrat, ce qu’il a fait dans un premier temps. Il avait besoin de moi, il y avait trop de travail pour qu’il ne m’engage pas. Sauf qu’il n’avait pas envie de me donner de l’argent.

Son employeur le licencie plutôt que d’assumer ses responsabilités. Alexi se retrouve d’abord au chômage, mais étant donné qu’il n’était employé officiellement qu’à 60 %, il a fallu compléter avec l’aide sociale pour arriver à atteindre 2 000 francs par mois. Quand le chômage s’est terminé, le RI a repris le tout. Les rendez-vous se sont succédé parce que son conseiller ne voyait pas d’un bon œil ses activités.

Je filmais des concerts mais les gens n’avaient pas les moyens de me payer pour ce que je faisais. Je bossais entre huit et dix heures par jour, et je pouvais le faire grâce à cette situation. Pour le RI, ça devenait compliqué, je n’étais pas censé le faire. Donc à un moment donné, je me suis dit qu’il valait mieux quitter ce système et que je n’aie plus de compte à rendre à quiconque. Je me suis entièrement consacré à ma chaîne sur YouTube, parce qu’en fin de compte c’est cela que j’avais toujours voulu faire.

À cette époque, quand je montrais à mes parents les concerts que j’avais filmés et que je trouvais bien, leur réaction était toujours de savoir si j’allais être payé. Je leur disais : « Mais vous ne comprenez pas, c’est pas ça que je vise. » Moi ça ne m’intéresse pas, je veux juste donner ces images aux groupes si ça peut les aider. Ce sont des gens pour qui j’ai beaucoup de respect. Et ça, mes parents avaient du mal à le comprendre. Ça me peinait mais c’est aussi dû à la différence de générations : mon père n’a travaillé que dans une seule boîte, la sienne.

À présent je bosse au McDo à 50 %. Je ne suis pas fier de ce qu’on vend mais vu les horaires que je fais – de 20h à 1h30 du matin – ça me permet de filmer des concerts le week-end. C’est ça que j’ai envie de faire : raconter des histoires, faire des images, le reste c’est secondaire. En fin de compte, travailler au McDo c’est moins pénible que de travailler dans une agence de communication parce que quand c’est fini, je ne suis pas en train de me dire qu’il faut encore que je trouve une idée pour améliorer le produit. Sur YouTube, la seule contrainte c’est le public. Le jour où j’aurai assez d’abonnés, ça me rapportera de l’argent.

Déçu par son expérience dans la communication, par le militantisme des ONG, par la politique, Alexi évoque l’avenir avec une vision qui reste optimiste.

Je crois à l’internet ! C’est la meilleure chose qui soit arrivée à l’humanité depuis très longtemps. Après il y a des dérives moches, bien sûr. Mais avec internet, je n’ai besoin de faire de courbettes à personne. Pour poster une vidéo, n’importe qui peut le faire depuis n’importe où. Les droits qu’on a sur internet en tant que citoyen sont plus nombreux que les droits de certains citoyens qui vivent sous une dictature. Il y a des pays qui donnent moins de droits à leurs citoyens qu’internet. On a beau dire que tout est toujours pire mais en termes d’images et de vidéo, on va vers le mieux parce qu’il y a de plus en plus de créateurs indépendants qui sortent de la toile. Donc oui, je suis désabusé sur plein de trucs mais je suis en même temps optimiste concernant l’avenir. Tous ces combats que j’ai arrêtés sous la forme d’avant, je les continue mais à ma manière. Là où je me suis calmé, c’est que je me suis rendu compte que je n’allais pas sauver le monde. Pendant longtemps je pensais être hors du système. À présent je suis conscient que « No Future » c’est un peu derrière. Ce système, on en fait tous partie, on ne peut pas y échapper. Ou alors il faut aller élever des chèvres à la montagne. Mais ça c’est pas trop mon kiff. J’aime bien pouvoir aller au cinéma quand j’en ai envie, donc il faut de l’argent. Après, si je pouvais remplacer le McDo par des soirées DJ par exemple, je ne dirais pas non.

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