Corinne

Corinne, 51 ans, de nationalité suisse

Corinne me reçoit dans son appartement, elle éteint la télévision. Sur l’un des murs, elle me montre une photo d’elle, plus jeune, en train de faire du patinage artistique. Elle a fait quelques compétitions entre l’âge de 11 et 18 ans. Mais les cours coûtaient trop cher, elle a dû arrêter pour travailler. Elle avait commencé un apprentissage de coiffeuse mais a développé des allergies aux produits, par conséquent elle n’a pas pu le terminer. Elle a passé des années en usine : gestion du stock, responsable de l’économat, elle se forme au niveau informatique. Corinne est entière, sans concession. Tout ce qu’elle entreprend, elle le fait avec passion et de manière très méticuleuse. Elle aime tout ce qui est manuel et qui requiert beaucoup de précision.

J’ai toujours été très pointilleuse dans tous les boulots que j’ai faits. D’ailleurs lors du dernier emploi que j’ai eu, mon chef disait : « Elle m’énerve, elle fait de la sur-qualité ». Au début il était gentil et puis après c’est devenu du harcèlement, il venait tout le temps me crier dessus, en tapant sur la table, toujours quand il n’y avait personne autour. Je ne comprends pas comment on peut être méchant comme ça. Je ne disais rien de toute la journée, pendant quatre ans j’ai toujours dit « oui », j’ai toujours aidé les autres, j’en faisais trois fois plus qu’eux… J’ai fini par un pétage de plombs. En plus le salaire était très bas. La dernière année, j’ai perdu 18 kilos, personne ne s’est rendu compte de rien, je tenais tout juste debout. Je n’avais même pas de quoi me nourrir, mon travail ne me permettait pas de vivre.

Corinne se fait licencier. Des problèmes physiques s’ajoutent à sa situation. En 2011 on lui découvre un emphysème* au poumon. Le parcours personnel et l’entourage familial de Corinne ont eu plusieurs incidences sur sa vie actuelle.

Si on revient au départ de mes premiers pétages de plombs, ça a commencé après mon premier mariage en 1997 où je suis vraiment tombée bas. Je suis devenue anorexique. J’ai toujours été un peu dépressive, mais là, ça a vraiment atteint le sommet. J’ai fait une première tentative de suicide en 1999, puis à nouveau en 2008. Je n’étais pas entourée par les bonnes personnes, elles ne m’ont sûrement pas aidée en me faisant boire et prendre des médicaments. Donc voilà, j’essaie chaque fois de me relever, mais à chaque fois boum… J’étais divorcée depuis 2000. En 2001, mon ex-mari est décédé. Overdose. Puis mon papa en 2002. C’était vraiment brutal, on ne s’y attendait pas du tout. C’était pourtant ma maman qui était malade depuis plusieurs années : elle avait la même chose que moi, un emphysème pulmonaire, elle respirait avec de l’oxygène 24h/24. À partir du moment où mon papa est décédé, elle s’est laissée mourir. Je ne me suis jamais remise de ça et je crois que je ne m’en remettrai jamais. C’est pour cela que tout est noir dans ma tête, parce que j’ai l’impression que je suis entourée par des morts. Je fais des cauchemars, je vois des morts partout, je ne veux plus sortir de chez moi.

Au moment où nous nous sommes rencontrées, Corinne suivait une mesure de réinsertion dont le but était de pratiquer la photographie pour apprendre, ou réapprendre, à voir les choses autrement, sous un autre angle, au sens propre comme au sens figuré. Cette mesure lui a apporté une accalmie temporaire. Sur un fil fragile néanmoins. Photographier est devenu un lien avec l’extérieur.

Les seuls moments où je sors, c’est pour aller à la mesure, c’est difficile de me lancer pour y aller, mais une fois que j’y suis, ça fait un peu de bien. C’est une équipe qui ne juge pas. On est tous des cassés de la vie. Depuis toute petite on me dit « tu n’y arriveras jamais, tu ne feras jamais rien de ta vie, t’es nulle » et ça, c’est ancré en moi. Alors dès que je dis que je suis nulle, tout le monde me reprend et me dit que ce n’est pas vrai.

Lorsque je lui demande si elle pourrait s’imaginer reprendre un travail ou s’engager quelques heures par semaine dans une démarche bénévole, elle ne s’en sent pas encore la force. Le dialogue avec son passé est encore trop présent, et ce qui lui permet de tenir debout, c’est avant tout son chien qui lui apporte un énorme réconfort. Elle réalise malgré tout que la photographie lui fait du bien pour le moral et se sent fière de ce qu’elle parvient à faire par elle-même. Le chemin semble long mais elle pourrait se projeter dans l’accompagnement de personnes âgées.

* L’emphysème est une détérioration des sacs aériens (appelés alvéoles) qui perdent leur élasticité.

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