Jimmy, 24 ans, de nationalité suisse
Jimmy me reçoit chez lui par un beau matin ensoleillé. Il parle d’une manière calme, qui contraste avec le chaos de son histoire familiale. Troisième et dernier enfant de la fratrie, il voit ses deux grandes sœurs partir rapidement de la maison, le laissant seul avec sa mère. Il doit trouver des ressources par lui-même. Aujourd’hui encore, ils ont peu de contacts les uns avec les autres.
Ma mère est chilienne, mon père est suisse. Depuis ma naissance, mes deux parents sont au social. J’ai eu ce parcours de vie avec eux, avec ces difficultés financières. Les deux ont toujours été, et sont encore, toxicomanes et alcooliques. Ça ne m’a pas beaucoup aidé à me construire, je n’ai pas eu de réel soutien de leur part. Mon père n’a jamais vraiment été présent – et quand il l’était, c’était plus pour provoquer des problèmes. Je suis parti de chez ma maman à 15 ans. J’ai dû demander l’aide sociale un peu avant ma majorité, parce que je n’avais rien. Je suis conscient de ma chance, parce que je pense que je n’aurais pas eu ça dans un autre pays. Mais c’était une période difficile : j’espérais du soutien moral des assistants sociaux, mais ça n’a pas été le cas. C’est toujours compliqué avec eux, ils ont peu de disponibilité quand on en a besoin.
À l’âge de 16 ans, Jimmy devient père. à cette époque, il vit chez les parents de son amie. Tous deux sont mineurs, ils n’ont pas terminé leurs études, et doivent se plier aux décisions des adultes.
Il y a eu des disputes un soir, ça a été loin avec les parents de la mère de mon fils. Comme on était mineurs, on ne pouvait pas avoir la garde de notre enfant. La tutrice a pris la décision de placer mon fils dans un foyer alors qu’il avait 5 mois. C’était terriblement dur. Je revois toujours cette image quand on nous l’a pris. Je ressentais vraiment de l’injustice vis-à-vis de ces grandes personnes face à nous. J’ai fait une dépression, et je ne voulais retourner ni chez ma mère, ni rester chez les parents de la mère de mon fils. J’ai quitté l’école. Je suis parti, je me suis retrouvé à la rue pendant deux semaines et c’est à ce moment-là, dans l’année de mes 17 ans, qu’on m’a aidé à m’inscrire au social, et à faire des démarches pour que je puisse loger dans un hôtel. C’était une période hard. Je me suis laissé tomber très bas. Avec l’alcool et la drogue surtout. Je prenais tous les jours du cannabis. L’alcool aussi, tous les jours, parfois même dès le matin. Je me nourrissais de ça. Mais l’alcool et la drogue, c’est un truc pour rester seul. Mon père, par exemple, a perdu toute sa famille avec ça. Il m’a perdu moi, sa femme, ses autres enfants.
Le RI envoie Jimmy suivre des mesures de réinsertion où il se retrouve avec d’autres jeunes dont la trajectoire est similaire à la sienne. Le schéma « aide sociale / dépendance à l’alcool et aux drogues » est celui qu’il connaît depuis sa naissance. Se retrouver une fois de plus face à des personnes qui vivent la même situation le décourage.
J’ai fait deux formations de peintre en bâtiment dans une entreprise de réinsertion, le Relais. Ça ne s’est pas super bien passé, car je me suis retrouvé avec le même genre de personnes que moi, qui ont des problèmes et qui ne sont pas motivées à aller de l’avant. J’espérais plutôt trouver un apprentissage avec des personnes sans problèmes ! à un moment, j’ai suivi une mesure à Lausanne ; ça ne m’a pris que deux mois pour terminer le cours de français et de maths. Du coup, je n’avais plus rien à faire, alors j’ai un peu tapé du poing sur la table au social en disant que je voulais intégrer une école, parce que j’en avais marre de ma situation, qu’il fallait que ça change. Ça a été difficile. J’ai même écrit au directeur du centre social pour lui dire que j’étais un peu désespéré de la réinsertion, que ça faisait depuis mes 18 ans que j’étais au social et que j’aimerais qu’on arrête de m’envoyer un peu à gauche et à droite dans des mesures. Ils ont fini par l’entendre. Finalement, je vais commencer un pré-apprentissage à l’Eracom à la rentrée. Là, ça va durer quatre ans. J’espère que ça va fonctionner mais j’ai confiance en moi. Je vais vraiment tout donner.
Jimmy a réussi à se sortir de ses addictions seul. Son fils est un moteur primordial dans ses prises de décisions et dans sa propre reconstruction.
Mon fils a 7 ans. Je le vois un week-end sur deux. Il a eu un parcours difficile. Jusqu’à 3 ans, il faisait de grosses crises d’angoisse, de frustration, de stress. Il a été placé dans un foyer à Vevey jusqu’à son premier anniversaire, et à présent il vit dans un foyer à Renens. Aujourd’hui, ce que j’ai envie de lui transmettre, c’est une motivation pour qu’il ait confiance en lui, qu’il se sente bien avec lui-même. Et aussi avec les autres. Parfois je m’inquiète. Parfois je suis un peu dur avec lui, mais c’est pour son bien. Je n’aimerais pas qu’il fasse des dépressions, qu’il se sente mal, et j’ai envie qu’il puisse me parler de tout. J’essaie de créer une relation comme ça avec lui. Pour moi, c’est important de parler, de dire les choses. Même si ça n’a pas forcément de sens, rien que de s’exprimer, c’est important. Il a fait une bêtise il n’y a pas très longtemps. Au foyer, ils lui ont dit que c’était grave. Quand je suis arrivé, il m’a regardé l’air de dire : « Oh non, je vais encore me faire engueuler ! » J’y suis allé tranquille, je lui ai demandé ce qui s’était passé. Il m’a dit qu’il avait cassé un truc, il est devenu tout rouge. Je lui ai dit : « Ce n’est pas grave. Tu as fait une bêtise, maintenant tu vas assumer. Mais il ne faut pas que tu te renfermes, que tu te dises que tu es mauvais parce que tu as fait ça. » J’ai envie qu’il pense qu’il est quelqu’un de bien. Ce n’est pas parce qu’il a fait une bêtise que c’est quelqu’un de mauvais. J’ai beaucoup pensé ça de moi plus jeune. Je pensais que j’étais mauvais et que ça n’allait pas changer. On se sent vite coupable quand on ne comprend pas. C’est vrai que l’enfance, c’est difficile quand même.
Pour les visites de son fils, Jimmy perçoit 20 francs par jour de la part de l’aide sociale, soit 40 francs par week-end. Des discussions sont en cours pour que l’enfant aille vivre chez l’un de ses parents. Comme Jimmy est sur le point de commencer sa formation, l’enfant ira vraisemblablement vivre chez sa mère qui termine son apprentissage d’employée de commerce. Même s’il aimerait un jour avoir la garde de son fils à plein temps, Jimmy sait qu’il doit désormais se consacrer à sa formation. Il regarde l’avenir en conservant à l’esprit qu’il ne pourra compter que sur lui-même.
Je n’ai pas de regrets. Je me dis qu’avec tout ce qui s’est passé auparavant et tout ce qui va se passer, eh bien la vie continue, ça me rend plus fort. Bientôt mon fils sera adolescent, il aura sa petite copine, il va peut-être commencer à fumer, je ne sais pas. Il y aura toujours quelque chose. Il faut s’y attendre sans être prêt. Je me dis que demain je pourrais tout perdre. C’est comme ça. Soit on résiste, soit on laisse tomber et on s’en fout. C’est ce qui m’est arrivé. Même si le social était là, j’étais tellement mal que je me fichais de tout. Ma vie n’avait pas de sens pour moi. Que j’aie de l’argent ou pas, ça m’était égal.
Aujourd’hui, je veux surtout me faire confiance à moi. J’ai toujours réussi grâce à moi-même. Quand j’étais à la rue, je n’avais aucun ami à mes côtés, pas de famille. Jusqu’à présent, personne ne m’a jamais dit : « C’est bien, vas-y, continue. » C’est moi-même qui me le disais. Et j’ai envie de continuer comme ça, à faire un petit peu l’égoïste – oui, c’est peut-être un peu égoïste mais… J’ai envie de faire les choses bien, et j’ai envie de les faire seul.